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...ça s'écrit comme un garçon...
10 mai 2015

la gifle

C 'est exactement la sensation que j' ai eue, quand on m' a dit qu'il était passé en réa. 

Passé en réa, pourquoi? Pourquoi lui, pourquoi maintenant, pourquoi pour ça, alors que ça devait être un petit truc fastoche?

Pourquoi là, maintenant, tout de suite, les choses devraient s'arrêter?

On n' avait pas prévu ça dans le planning de nos vies , sa mort.

Je me suis vue, ce lundi après-midi, toute seule dans cette chambre de réa, réa où je me suis pointée une heure trop tôt, où j' ai du attendre dans le couloir le plus moche que les concepteurs d'hopitaux aient jamais créé, arqueboutée sur son corps à l' engueuller, à lui dire des trucs à l' oreille parce que non, en dix huit ans que je le connais, il y avait encore des tas de choses que je ne lui avais pas dites, à le suplier de rester parce que égoistement nous n' étions pas prêts à le voir sortir de nos vies aussi tôt, à caresser ses mains, ces paluches énormes déjà toutes bouffies et infiltrées, cireuses presque, à lui masser les pieds, le recoiffer, à poser ma tête sur sa poitrine pour écouter le coeur qui bat et me rassurer, lui sussurer que j' avais besoin de lui, sa femme, ses garçons, ses petits-enfants aussi, que soixante trois c'est trop trop court, que pas maintenant, non là, vraiment pas maintenant. On a compris, maintenant, reviens, c'est fini.

Sentir la main sur mon épaule de l'infrimière de réa, qui me glisse un siège sous les fesses, et me dit "asseyez vous, vous serez mieux pour lui parler", et exploser en sanglots comme rarement dans ma vie, parce que je sais que ça ne sert à rien de lui parler, qu'il est sédaté pour supporter les trois machines qui suppléent toutes les défaillances de ce grand corps, de cette armoire à glace qu'on croyait  indestructible, que je sais qu'elle fait ça par gentillesse et qu'elle sait que c'est assez vain comme démarche, mais parce que ce lundi j' ai envie d'y croire, parce que j' ai envie d'oublier que j' ai fait des études de médecine et que je connais le pronostic et que je veux faire comme si je ne le savais pas.

Passer de l'autre côté, du côté des soignés, et plus de celui des soignants, réaliser que chaque geste compte pour les familles, tous les soupirs, les rires, tous les bips de machine, réaliser le poids monstrueux qu'a le personnel soignant pour accompagner les familles dans leur acceptation de la fin... Même si tout ça je le sais, je le fais toutes les semaines ou presque, là, tout est différent. Laissez le nous.

On ne sait jamais de quoi demain est fait.

Jamais, jamais, jamais.

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